J LE TENSORER   

 

Jacques LE TENSORER est décédé le 20 septembre 2016.
Voici l'éloge prononcé par notre camarade Jean-Paul VALLIN lors de ses obsèques.


C’était début 1974. Jacques et moi nous étions rencontrés à Coëtquidan, où nous avions intégré le peloton EOR qui devait nous prodiguer les bases du commandement. Me faire un ami de ce jeune breton plein de vie et d’humour m’apparût comme une évidence, et par chance s’avéra plutôt facile. Nous ne pouvions pressentir que cette amitié se doublerait d’une fraternité d’arme que nul évènement ne mettrait à mal. Bien sortis du peloton, nous nous quittâmes à Paris pour rejoindre nos affectations respectives, lui à la Réunion, moi à Dakar. Avant de s’acquitter de ses obligations militaires, Jacques, l’aîné d’une fratrie de quatre garçons avait suivi une scolarité brillante, qui lui permettait d’appréhender avec la même facilité les sciences et les lettres. Cet éclectisme culturel lui resta. Notre service militaire terminé, nous nous retrouvâmes à Strasbourg en vue de préparer le concours de l’Ecole Militaire Interarmes.

C’est là que notre petite coterie s’élargit pour faire place à 3 personnages de dimension :

  • Michel Albert, à l’esprit pratique et à l’humour dévastateur. Tu deviendras parrain de sa fille Aliénor
  • Philippe Pondaven, égaré sur terre par quelque astéroïde, et dont il fallait trop fréquemment contenir la verve provocatrice
  • Et Alain Burnet, qui parvenait à nous persuader des choses les plus improbables avec une rouerie toute levantine.


Puis il y eut Coëtquidan, en 1976-1977, et les déboulés sur Argenton, sur la côte sauvage bretonne, lors desquels jamais l’hospitalité de la famille Le Tensorer ne fut prise en défaut, pas plus que la complicité de son frère Jean-Paul ou d’Albert Le Borgne. Jacques, Michel et moi rejoignîmes ensuite Montpellier où se jouait notre affectation en régiment. Notre jeunesse s’arrêta là. Brutalement, la vie s’accéléra, les responsabilités s’accrurent et nos retrouvailles, à Paris ou ailleurs, furent dans l’institution plus souvent le fruit du hasard que de notre volonté propre. Après le 2ème Rima à St Lô, Jacques fut affecté comme commandant de compagnie à Papeete, où il se fit remarquer par son sens de l’organisation et son souci du facteur humain, puis de retour en métropole il intégra les services, se vit détaché en qualité de conseiller auprès de la Préfecture de Guadeloupe, où il fit la connaissance de Luce, revint à Paris où il reprit sa place dans les services, avant de rejoindre La Réunion, pour y occuper le même poste de conseiller du Préfet avant de mettre un terme à sa carrière et soutenir son épouse, adjointe du même préfet. Son temps libre, il le consacra à une maîtrise de droit, à la construction de leur maison réunionnaise et à quelques périodes de réserves.

Après que Luce eût pris sa retraite, le couple se fixa ici, à Coulaures, et les mois défilèrent vite, essentiellement dédiés à la restauration de la maison, à la reprise des contacts avec les amis, à quelques voyages. Survint la maladie. Instruit des progrès de la médecine comme de ses limites, Jacques ne fut à aucun moment dupe de l’équilibre des forces. Pudique chaque fois qu’il ne pouvait échapper à parler de lui-même, et simultanément conscient de son état autant que l’on peut l’être, il aura fait preuve de beaucoup de courage et d’élégance à faire comprendre aux amis que son mal était incurable et la fin entendue. Quoique non-dit, le message que tu nous laissas, à Anne mon épouse et moi-même, lors de notre passage au printemps dernier, était en ce sens fort lisible.

Ton charisme, cher Jacques, restera indissociable de toute évocation de toi, chez Luce que tu aimais tant, chez ta fille Marine, dans ta famille, chez tes amis et camarades de promotion. Pour moi, les moments d’ultime complicité, ceux où l’on se retrouvait assis et où la parole était superflue sont désormais révolus, mais je louerai longtemps ton amitié, entière, indéfectible, et vide de tout calcul.